De sa vie:
P : Bonjour, Julio. Quelle est votre date de naissance ?
J : Je suis né le 22 août 1976 à Camagüey, la ville des tinajones.
P : Avez-vous toujours vécu dans cette ville?
J : Oui, toujours.
P : Avez-vous de la famille à la campagne ou dans une autre ville?
J : J’ai de la famille dans la partie est de la province de Camagüey, dans la ville de Bayamó.
P : Savez-vous de quelle descendance africaine étaient vos ancêtres?
J : J’ai des grand-parents de descendance haïtienne et congo, la famille de ma mère est d’origine congo et celle de mon père d’origine haïtienne.
P : Vous avez appris la musique afro-cubaine « dans la rue », sans prendre de cours, en regardant et en écoutant.
J : Oui, dans la rue, depuis tout petit, en jouant, en écoutant, et ensuite la plus grande expérience que j’aie eue pour étudier a été au Conjunto Folklórico de Camagüey. Mais dès l’âge de cinq ans j’ai joué dans la rue. J’ai commencé à jouer, chanter et danser dans les rituels congos et haïtiens à l’âge de dix ans, mais l’haïtien me plaisait plus que le congo, c’était mon aspiration.
P : Les religions afro-cubaines que vous pratiquez sont la religion congo et la religion haïtienne. Dans laquelle avez-vous été initié en premier ?
J : Dans la religion haïtienne, parce que toute ma famille la pratiquait : mes grands-parents, mes oncles, tout le monde.
P : Donc, vous êtes entré un beau jour dans ce Conjunto Folklórico de Camagüey.
J : Avant d’y entrer j’ai fait partie de plusieurs groupes amateurs: j’ai participé au conjunto « Arena del Sol », qui jouait dans les endroits à touristes. J’y suis resté cinq ans, mais toujours en tant qu’amateur. C’était un petit groupe folklorique, qui jouait à Santa Lucia (station balnéaire de la province de Camagüey), dans les hôtels, puis à Arenas Doradas à Matanzas, et j’ai commencé ainsi à jouer dans tout Cuba. Il n’y avait aucun argent pour payer un groupe folklorique, si bon soit-il : nous faisions cela par amour, espérant qu’un jour nous pourrions y gagner un peu notre vie, parce que le folklore nous plaisait. Nous jouions dans tout Cuba, la plupart du temps gratuitement, mais grâce à ce groupe j’ai voyagé partout dans Cuba, j’ai découvert le pays dans son entier.
(ndt: à Cuba, la notion d’orchestre amateur n’induit pas une notion de bas niveau : il signifie que l’orchestre n’est pas reconnu comme professionnel par l’état, et qu’il n’a pas le droit de gagner de l’argent. Certaines formes anciennes de musique populaire ne sont plus jouées que par des orchestres amateurs)
Le Conjunto Folklórico de Camagüey s’est fondé dans les années 1990. C’est au sein de cette troupe que j’ai eu mon premier travail professionnel, et que j’ai pu faire mon premier voyage à l’étranger, au Mexique en 1998. Je suis entré au Conjunto en 1995, j’avais 18 ans. Ensuite nous sommes allé en Martinique, en Espagne (6 fois), à nouveau au Mexique, en Italie (4 fois), au Portugal, en Allemagne et à Trinidad et Tobago. Nous aurions dû aller en Irak s’il n’y avait pas eu la guerre. Nous sommes également allé à Panama une fois, avec un équipe réduite, seulement quatre ou cinq membres du Conjunto, pour un festival de musique haïtienne.
P: Avez-vous beaucoup joué la musique populaire?
J: J’ai travaillé comme danseur ou en tant que spécialiste du folklore avec des groupes de Salsa, lors de rencontres qu’à fait le Conjunto avec eux. Il s’agit de tous les groupes de Salsa importants à Cuba : Adalberto Álvarez y su Son, la Charanga Habanera, la Orquesta Aragón, Paulito y su Elite, los Van Van, NG La Banda, Pachito Alonso y su Kini-Kini, avec des orchestres traditionnels également. De plus j’ai joué deux fois avec Las Maravillas de Florida, et deux fois avec la Orquesta Aliamén, qui elle-aussi est originaire de Camagüey.
P : Maintenant vous vivez en Italie…
J : Oui, c'est la 4e fois que je venais en Italie. J’avais des contacts dans ce pays, beaucoup d’amis, beaucoup d’élèves, et j’ai fait ce Conjunto Mezcla avec des Italiens qui étaient de mes élèves. Je suis toujours resté à Gênes. Là-bas il y a un centre de culture cubaine, dirigé par un italien élève d’Irián López, des Chinitos. Là-bas on joue beaucoup le tambour. Au début l’afro-cubain n’y était pas connu, et dans les années 1980 Irián est venu à Gênes, invité par un élève à lui. Par conséquent, l’afro-cubain y a été mieux connu. Par la suite ça s’est un peu perdu, alors quand je suis arrivé les gens ont été très contents de pouvoir à nouveau pratiquer.
P : On dit qu’en Italie il y a un tambour de fundamento…
J : Oui, il y a six mois il y en avait encore un, mais ils l’ont ramené à Cuba, parce qu’il ne servait pas beaucoup, par manque de Santeros. C’était un chanteur qui en avait la responsabilité, je ne rappelle plus son nom.
P : Vous ne savez pas s'il en existe d’autres en Europe ?
J : On m’a dit qu’il y en avait un en Espagne, je crois que c’est à Madrid. Il y en avait un en France, non ?
P : Il est reparti pour les mêmes raisons. Quels sont les musiciens cubains spécialistes de l’afro-cubain en Italie ?
J : Principalement Reynaldo Hernández « Naldo », le fils de Gregorio « El Goyo » Hernández, Humberto « La Película » Oviedo, et Yamil Castillo Otero.
De la pratique de l'afro-cubain dans la Province de Camagüey:
P : Beaucoup d’esclaves sont arrivés d’Haïti dans les provinces de l’est de Cuba, et jusqu’à Camagüey, donc…
J : À Camagüey il y a une grande communauté de descendants d’Haïtiens. Cela représente quelques milliers de personnes. C’était une grande région sucrière. Des milliers d’esclaves étaient employés à couper la canne, car il y avait dans cette province les plus grandes plantations sucrières de Cuba.
P : Les Français n’ont pas apporté le café jusqu’à Camagüey?
J : Non, seulement un peu plus à l’est en Oriente. Il n’y a pas de plantations de café à Camagüey, rien que de la canne à sucre.
À la campagne il y avait une immense entreprise sucrière, un grand « batey » appelé Caitigén, dans lequel il y avait beaucoup esclaves Haïtiens. Il se situe à la campagne, mais non-loin de la ville de Camagüey. C’est là qu’ont été amenés les premiers esclaves africains dans la région. On y pratiquait la religion haïtiano-cubaine et la religion congo.
P : Dans d’autres parties de la province comme à Florida il n’y avait pas d’Haïtiens?
J : Si, si, surtout dans la région de Florida, où il y avait beaucoup de plantations où l’on pratiquait le culte haïtien, et où on le pratique toujours, d’ailleurs.
P : Ces gens sortaient en procession pendant la Semaine Sainte comme on le fait dans la région de Santiago?
J : À Camagüey précisément, les cultes haïtiens et palo-monte ont des dates de célébrations différentes : les grandes fêtes des Congos se pratiquent tous les ans, et celles des Haïtiens tous les trois ans. À Camagüey les traditions afro-cubaines se perdues quelque peu à une certaine époque, mais maintenant elles reprennent de la vigueur, surtout avec le Cabildo de Santa Teresa.
P : Quand se déroulait le carnaval à Camagüey ?
J : Le 24 juin, jour de la San Pedro. Ce jour-là sortaient les Cabildos du centre de Camagüey, du quartier de Palma, où se situe le Cabildo de Santa Bárbara. Tout cela n'existe plus aujourd'hui.
P : Un Cabildo yoruba ?
J : Un Cabildo congo, qui faisait une procession dans toute la ville. On y portait la Sainte jusqu’au Parque Cristo, où se passait ensuite l’essentiel de la fête. C’est là que se réunissaient tous les Congos de la ville, parce que ce Cabildo était le plus ancien de Camagüey.
P : La majorité des esclaves étaient-ils Congos ou Haïtiens ?
J : Congos. Les Haïtiens sont arrivés plus tard. Maintenant il y a plus de gens d’origine haïtienne que de Congos, parce que beaucoup de Congos sont partis en Occidente.
P : Donc, peut-on dire que la religion afro-cubaine la plus pratiquée à Camagüey est la congo ?
J : Les deux : la congo et l'haïtienne.
P : Aujourd’hui les blancs sont-ils également pratiquants ?
J : Oui, à peu près 80% d’entre eux.
P : Les blancs n’ont pas de problème pour s’initier à la religion haïtienne ?
J : Non, ils doivent juste avoir un peu d’expérience en la matière, c’est tout. C'est seulement depuis une dizaine d’année qu’ils le font.
P : Il y a une pratique de l’Espiritismo à Camagüey ?
J : Oui, il y a beaucoup de centres spiritistes, depuis très longtemps.
P : On ne pratique pas à Camagüey le Lucumí Cruzado comme à Santiago ?
J : Non. C’est plutôt là-bas, à Guantanamó et à Santiago, que cela se passe. ÀCamagüey le religion afro-cubaine la plus pure est celle des Congos, qui étaient majoritaires avant d’émigrer à l’ouest de l’île. Auparavant c’était une ville de Congos, puis vinrent les Haïtiens. Le culte yoruba est arrivé beaucoup plus tard.
P : Il y a également une forme particulière de comparsa à Camagüey…
J : Oui, très différente, et elle appartient à Camagüey-même.
P : À Florida on la joue différemment ?
J : Oui. On appelle Florida « La Habana Chiquita », parce que beaucoup d’havanais sont venus y vivre.
P : Florida est la seconde ville de la province de Camagüey. Quelle est la troisième ?
(cliquez pour agrandir) Photo Guije.com
J : Ciego de Ávila faisait partie de la même province, auparavant, puis on a séparé la province en deux. Il y a Santa Cruz del Sur, Nuevitas, et Vertientes. La province est grande, mais auparavant elle était encore plus grande.
P : Il y a une grande ville sur la côte sud?
J : Seulement Santa Cruz del Sur.
P : Est-ce que les noms des tambours haïtiano-cubains sont spécifiques, comme « tambours rada » ou utilise-t-on un autre nom ?
J : Ce sont les mêmes noms que dans la religion arará (jun, junguedde, juncito… ?).
P : Il m’a semblé, d’après ce que j’ai pu voir à Camagüey, que la population locale n’est pas très amatrice de folklore afro-cubain, car je n’ai jamais vu salle comble à vos spectacles.
J : C'est parce que les traditions se sont quelque peu perdue pendant longtemps…
P : Mais pourtant il y a beaucoup de pratiquants des religions congo et haïtiano-cubaine.
J : Oui, mais il y a très peu de gens qui en connaissent les racines, ceux qui les connaissent vivent dans les quartiers pauvres. Dans les quartiers riches il n’y a que des blancs, qui n’apprécient pas l’afro-cubain, et qui ne pratiquent pas, sinon la religion catholique qui est très présente à Camagüey, qui est également « la ville des églises ».
P : Mais pendant la semaine de la culture, ou pendant le festival Olorun, beaucoup de gens viennent de l’extérieur, et ces gens-là aiment le folklore.
J : Oui. Maintenant la ville de Camagüey connaît son Conjunto Folklórico et sait qu’il s’agit de l’un des principaux ballets de l’île, mais cela a pris des années. Auparavant il n’était même pas connu dans la ville. Le folklore afro-cubain lui-même n’y était pas connu. J’ai dû jouer pendant cinq ans dans des lieux touristiques en dehors de Camagüey, comme à Santa Lucía. Dans ces lieux on jouait seulement pour les touristes, le public cubain n’y avait pas accès, il ne le voyait pas. Santa Lucía est le principal lieu de villégiature de la province, et il y a beaucoup de musiciens là-bas, dans les sept hôtels. Ce sont différentes chaînes d’hôtel ; l’une appartient à des Mexicains, une autre à des Espagnols, une autre à des Italiens, encore une autre à des Canadiens, etc… La plupart de ces hôtels se sont construits à la fin des années 1980. Auparavant il n’existait qu’un seul d’entre eux, l’hôtel Marianao. Chacun d’entre eux représente un pays, et accueille environ 300 touristes.
Des tambours batá à Camagüey:
P : Par la suite sont arrivés les tambours batá ?
J : À Camagüey il n’y a que deux jeux de tambours batá consacrés. Le premier était celui de Esperanza Villa, une femme.
P : C’est une femme qui détenait le jeu de tambour ? Pourquoi une femme ?
J : C’étaient elle et une autre femme, Juana Antonia. Les gens qui leur un donné la responsabilité du « tambour » étaient de Matanzas, et ont amené ce tambour à Camagüey. Le tambour était consacré depuis 15 ans avant d’arriver à Camagüey.
P : Donc à cette époque le culte yoruba n’existait pas à Camagüey ?
J : Si, on jouait déjà le güiro, depuis de nombreuses années. La religion yoruba était pratiquée, pas autant que maintenant, mais on ne jouait que le güiro.
P : Et le bembé de se joue pas à Camagüey ?
J : On y jouait le « bembé sao’ » comme à Santiago, aux divinités yoruba. (Si l’on se réfère au cd de Cutumba, le « bembé sao’ » serait joué avec des tambours – remplacés aujourd’hui par des tumbadoras - et par un bombo qui serait le tambour improvisateur. La sonorité de l’ensemble rappelle par certains côtés la « comparsa carabalí »).
P : Le bembé, le joue-t-on à la campagne ou à la ville ?
J : À la campagne. Dans les bateyes, comme dans le cas du güiro, parce qu’il était de toute façon interdit de jouer ces musiques à la ville. Même le parti castriste l’avait interdit, dans les premiers temps de la Révolution. Il y avait beaucoup de dirigeants du parti pratiquants, mais toute forme de religion était interdite, et à fortiori à tous les membres du parti. Beaucoup étaient Santeros, qui pratiquaient, mais en secret, parce que c’était très dangereux.
P : C'était dans les années 1960…
J : Oui. Ils pouvaient tout perdre si ça s’apprenait. Plus tard il y a eu la liberté de culte.
P : Donc, d'abord vous avez été initié à la religion haïtiano-cubaine, puis à la religion congo, puis vous avez initié en tant qu’Omo-Añá, dans la religion yoruba.
J : Oui. Je me suis « juré » dans la religion congo quand j’avais huit ans. Plus récemment, j’ai été initié en tant qu’Omo-Añá dans le « tambour » Obanitiyé, qui est sous la responsabilité de Hector López, « dueño » du tambour. C’est le second tambour de Camagüey, il a été consacré par Orlando « Puntilla » Ríos.
P : Le premier tambour de fundamento de Camagüey est d’origine matancera. Par la suite ont-ils mélangés le style havanais et le matancero, ou… ?
J : Non, ces gens jouent exclusivement le style de Matanzas qui est leur style original, bien tranquille, et nous, nous jouons le style havanais. Nous jouons complètement différemment.
P : Donc, quand un iyawó se présente devant l’autre tambour, ils le « présentent » à la manière de Matanzas ?
J : Oui, et nous le faisons à la manière havanaise.
P : La religion yoruba a eu beaucoup de succès dans les années 1990. À Camagüey, cela s’est-il passé de la même façon ?
J : De la même façon, oui. Il y a plus de Santeros qu’auparavant, ils sont très nombreux.
P : Le vieil « Ochún Kayodde » (un Santero blanc), le plus vieux Santero de Camagüey, était là avant qu’arrive le premier jeu de tambours batá consacré. Était-il par conséquent Santero avant d’arriver à Camagüey ?
J : Oui, comme tous les anciens Santeros de la ville. Ils ont été initiés à La Havane pour la plupart. Mais maintenant, vu le nombre de Santeros, la ville avait besoin d’un second jeu de batá consacrés. Le batá était originellement inconnu à Camagüey.
P : Mais si vous êtes les deux seuls jeux de tambour de la ville, et que la Santería se développe dans la région, vous devez jouer dans toute la province…
J : Dans toute la province, oui. Les deux tambours ont beaucoup de travail, parce que, par exemple, le 8 septembre, jour d’Ochún, le 4 décembre, jour de Changó, ou le 17 décembre, jour de San Lázaro, les deux équipes de joueurs de tambour doivent se diviser en deux sous-équipes pour satisfaire toutes les demandes. Nous sommes allés à Nuevitas (à 70 kms de Camagüey), et jusqu’à Cienfuegos !!, dans toute la province de Camagüey, et dans toute celle de Ciego de Ávila.
P : Quel est le nom de l’autre tambour ?
J : Je ne rappelle pas. Je n’ai pas souvent eu l’opportunité de fréquenter ces gens.
P : Celui-ci est des années 1970, et vous-autres des années 1990, mais Puntilla était « marieliste » et à quitté Cuba en 1980… ?
J : Oui, c’était avant 1980, mais celui qui a reçu la charge du tambour l’a fait en 1990.
P : Donc, vous m’avez dit que votre tambour a commencé avec quatre Omo-Añá.
J : Oui, et à l’heure actuelle ils sont sept.
P : Comment les premier Omo-Añá ont-ils pu être consacrés sans fréquenter l’autre tambour ?
J : Il y a un premier tambour, "celui des vieux", dans lequel joue mon ami, qui s’appelle « Matancita », c’est le tambour de José Antonio, il vient de Matanzas. Ensuite il y a l’autre tambour, qui se nomme Obanitiyé, notre tambour, qui a été consacré dans la maison des Chinitos (à San Miguel del padrón, La Havane). Ce tambour appartient, à Camagüey, à l’Obba qui se nomme Lázaro López.
P : Il n’est pas parent avec la famille López des Chinitos ?
J : Non. C’est un Santero âgé, ami des Chinitos depuis des années. Ce tambour Obanitiyé a commencé - comme l’autre d’ailleurs – avec quatre personnes, qui sont tous allé « jurer fidélité à Añá » dans la maison des Chinitos, à La Havane. L’un deux est Alejandro Mola Certo, dit « Mafé ». Le second est Pedro Luis Almanza Mola, le troisième est son frère, Luis Almanza Mola (Jr.), les deux sont des cousins de « Mafé ». Ils sont les fils de Luis Almanza Zaya (Sr.), surnommé « Fila » (le papa de Pedro et de Luis). Ce sont les quatre musiciens qui ont commencé dans le tambour Obanitiyé. Plus Lázaro López qui est le « dueño » du tambour depuis 1990. Le tambour est arrivé à Camagüey en 1995. Actuellement dans ce tambour il y a dix Omo-Añá, qui sont à Cuba maintenant, et deux qui sont en-dehors de Cuba, moi et Pedro, le frère de Luis, qui vit en Espagne. Le plus récent des Omo-Añá c’est moi, qui ai été le dernier à m’initier.
Des musiciens camagüeyanos célèbres:
P : De Camagüey sont sortis beaucoup de musiciens célèbres, non ?
J : Oui, beaucoup, beaucoup. Il y a plus de musiciens qui sont originaires de cette province que des autres provinces. Dans tous les bons orchestres il y a des musiciens camagüeyans. Ils sont partis de la ville parce que les activités culturelles y étaient rares. Alors tous ceux qui avaient du talent ont dû partir pour la capitale. Quelques-uns sont allé à Santiago, mais la majorité d’entre eux est partie à La Havane. Là-bas ils pouvaient grimper dans l'échelle sociale, prospérer, y avancer dans la musique. À Camagüey la culture ne progressait pas. À Camagüey il y avait également énormément de Congos qui ne savaient ni lire ni écrire. Ils sont partis à La Havane pour pouvoir travailler, étudier, et faire progresser leur niveau de connaissance.
P : Pouvez-vous me citer des musiciens célèbres qui sont sortis de la province de Camagüey ? Las Maravillas de Florida, par exemple ?
J : Oui, fondée en 1948, qui prit définitivement le nom "Maravillas de Florida" en 1959, et fut dirigée dans les années 1990 par « Manolito » Simonet, celui du « Trabuco ». L’orchestre a pris ce nom parce que la majorité des musiciens était de Florida. Mais le directeur était de Camagüey.
P : Dans la Ritmo Oriental il y avait des musiciens de Camagüey ?
J : Ils étaient tous de Camagüey! Ensuite ils sont eux-aussi partis à La Havane. Adalberto Álvarez lui-aussi est camagüeyan. La Orquesta Tínima, dont cinq musiciens sont maintenant dans Los Van Van : Tínima est la marque de bière traditionnelle de Camagüey.
P : Il y avait de la musique de Son à Camagüey.
J : C’était la musique la plus en vogue: beaucoup de groupes de Son. Et une chanteuse très célèbre qui s’appelle Candida Batista, de trova traditionnelle. Elle a tourné dans le Monde entier.
P : Et dans le folklore, quelques musiciens fameux ?
J : Il y avait un tout petit groupe folklorique congo, le premier à Camagüey, qui s’appelait « Guatoko Kunacheto », ils avaient un gros potentiel, mais ils ne gagnaient pas d’argent. Ce groupe s’est maintenu après la Révolution, jusque dans les années 90.
P : Il n’y avait pas de cabarets à Camagüey pour que des groupes de folklore y montent des spectacles et ainsi gagner un peu d’argent ?
J : Non, parce que Camagüey était une capitale rurale, avec peu de lieux de concerts. Ce n’est qu’après le triomphe de la Révolución que la culture a recommencé lentement à s’y développer. Auparavant la situation était bloquée pour des raisons essentiellement économiques, la majorité des groupes ne comportait donc pas plus de cinq musiciens, les grands orchestres ne pouvaient pas exister sans argent.
P : Pourtant il y a des théâtres à Camagüey…
J : Oui, il y en au moins cinq, mais ce sont des artistes d’autres provinces qu’y s’y produisent.
(Photo: Eddie Castro)
P : Il n’y avait pas des sociétés de danse où l’on jouait du Danzón ? J’ai connu à Camagüey un orchestre de Danzón qui s’appelait « La Bella Época ».
J : Camagüey est une ville de Son. Il y avait bien une société de Danzón très grande. Je me rappelle d’une société qui s’appelait « Los Jóvenes Delfín ». Là-bas il y avait toujours au moins 200 personnes qui dansaient, c’était une grande société, vraiment, qui était située à San Ramón. Il y a avait là des noirs, des métis, et une minorité de blancs.
Du Ballet Folklorique de Camagüey:
P : Le Conjunto Folklórico de Camagüey a été fondé, m’a-t-on dit, par une femme, qui était là avant l’actuel directeur Reynaldo Echemendía…
J : Oui. Mais ce n’était pas le Conjunto tel qu’il est maintenant : il était moins important, et il comportait moins de membres. Reynaldo Echemendía est l’homme qui l’a amené là où il est, qui était passionné de folklore afro-cubain. Il s’est fondé il y a 15 ans, en 1992. Echemendía travaillait avec le Ballet (classique) de Camagüey, et tous les jours pour aller travailler il passait par les quartiers pauvres, où il voyait et entendait de la musique afro-cubaine. C’est lui qui est allé de multiples fois à La Havane pour demander l’évaluation puis l’officialisation du Conjunto, devant les commissions, au Conjunto Folklórico Nacional, il a défendu son projet pendant des mois, jusqu’à ce qu’ils acceptent, et lui donnent un statut professionnel, avec des salaires et tout le reste.
P : Comment s’organise la vie professionnelle d’un artiste qui entre au Conjunto ?
J : On doit faire, là-bas ou ailleurs, deux années de « servicio social ». Ensuite, on peut entrer dans une autre compagnie, ou choisir d’y rester. C’est le service social qui te permet d’entrer ensuite comme professionnel dans une troupe, mais sans salaire, en tant qu’étudiant. Ils te paient la résidence, les repas, tout, mais tu es toujours étudiant. Pour cela tu signes un contrat. Au bout de tes deux ans d’études, tu as le droit d’être évalué. Tu entres alors au 5e niveau (E), ou au 4e (D), au 3e (C), au 2e (B) ou au premier niveau (A). Une commission t’évalue, mais tu peux entrer directement au 3e ou au 2e niveau, cela dépend de ton talent et de tes connaissances. Les danseurs gagnent un peu plus que les musiciens ou les chanteurs, au même niveau. Ceux qui jouent et qui dansent gagnent plus. Maintenant, si tu danses, chante et joue ils te paient comme un danseur de premier niveau. Un danseur de premier niveau gagne 420 pesos par mois.
P : Quand je vous ai connu en 2001, grâce à Dominique Gombert, il y avait 26 artistes dans le Conjunto Folklórico de Camagüey. Combien étaient de premier niveau ?
J : Nous devions être à peu près 19 à avoir déjà été évalués. Les musiciens étaient presque tous au niveau A, et gagnaient 340 pesos mensuels (plus ou moins 12 dollars). Parmi les danseurs certains étaient au 3e ou au 4e niveau, mais ce n’est pas la même échelle de salaires. Un musicien de 2e niveau gagnait 300 pesos, un du 3e niveau gagnait 280 pesos.
P : Un niveau A de Camagüey gagne autant qu’un niveau A du Conjunto Foklórico Nacional ?
J : Je ne peux pas te dire. Je sais qu’à santiago et à Camagüey les salaires sont égaux. Mais je ne sais pas si à La Havane…
P : Combien d'ensembles folkloriques d’état (professionnels) y-a-t’il à Cuba ?
J : Celui de La Havane (le Nacional), celui de Camagüey, celui de Santiago (qu’on appelle « de Oriente » , celui de Santa Clara, celui de las Tunas (entre Holguín et Camagüey), celui de Trinidad… Dans celui de Las Tunas ils ne font que de l’Haïtiano-cubain.
P : Et celui qui m’a beaucoup plu, le Conjunto Maragüán ?
J : Il s’agit du Conjunto de l’Université, ils sont amateurs, et seul le directeur a un salaire. Il ne les paient pas, mais ils voyagent beaucoup. Ils sont excellents. Leur travail est en partie professionnel, comme beaucoup d’autres troupes, mais ils sont étudiants. Ils voyagent plus que le Conjunto de Camagüey, et ils existent depuis plus longtemps. L’état les aide pour le logement, les repas, pour tout, mais ils n’ont qu’un statut d’étudiant.
P : Et quand vous travaillez à plein temps dans un Conjunto Folklórico, avez-vous le droit de travailler avec d’autres groupes ?
J : Non, le contrat que tu signes t’en empêche.
De la rumba à Camagüey:
P : À Nuevitas, qui est un petit port, il n’y a pas de tradition de rumba comme dans le petit port de Cárdenas ?
J : Nuevitas est un tout petit port de pêche, où il n’y a pas beaucoup de dockers.
P : Et à Camagüey on ne joue pas beaucoup la rumba ?
J : Si, elle a toujours existé, mais seulement dans les quartiers pauvres, où il n’y a que des noirs. L’un d’entre eux s’appelle « Reparto Prieto », où l’on joue souvent la rumba et la conga.
P : C’est le quartier où vit « Matancita » ?
J : Oui, c’est ça. Y vivent beaucoup de musiciens amateurs, de la rue.
P : On joue la rumba avec des cajones?
J : On la joue comme on peut, avec des baguettes, des bouts de bois, avec n’importe quoi, c’est comme ça que commencent les rumbas, avec un morceau de caisse, un seau, une cuiller: la rumba est une chose du cœur, qui naît spontanément. Si il y a une tumbadora on va la chercher, c’est mieux, mais au pire on tape dans les mains, cela suffit.
P : Avant Rumbata, y avait-il d’autres groupes de rumba ?
J : Oui, il y avait trois groupes, tous amateurs. L’un s’appelait « le Septeto Veinte », l’autre « Guatoko Kunacheto » (un nom congo), et le troisième s’appelait « Los Yoyos », et ils faisaient des concours entre quartiers, pour décider lequel était le meilleur – pas des compétitions officielles, qui n’existaient pas à l’époque. Les gens parlaient : « Oye: samedi il y a une rumba à tel endroit » et voilà ! C’étaient tous de bons musiciens, et eux aussi sont partis en Occidente pour trouver du travail. Et effectivement, beaucoup d’excellents rumberos sont partis. Ils sont aujourd’hui dans des groupes de haut niveau, ils sont tous célèbres, mais ils sont tous de Camagüey.
P : Et Wilmer Ferrán Jímenez, directeur de Rumbatá, qui a fait des aller-et retours au Conjunto ?
J : Wilmer était de la ville de Florida, et il est venu vivre à Camagüey avec sa fiancée. Il est venu seul, à l’âge de 19 ans. À Florida c’était encore pire qu’à à Camagüey. Il est entré au Ballet (classique) de Camagüey comme danseur. Il vivait à l’époque calle Bembeta avec sa fiancée Lola, et a suivi les cours de l’école de Ballet. Il y a deux écoles de ballet classique à Camagüey, l’une à Montecarlo, et l’autre calle Vigia, où est entré Wilmer pour ses études. Par la suite il s’est intéressé à la musique afro-cubaine, et il a fini par entrer au Conjunto.
P : Mais comment à fait Wilmer, qui est sorti puis à nouveau entré au Conjunto ?
J : Au bout d’un an, à chaque fois le directeur est allé chez Wilmer négocier son retour au Conjunto, parce que Wilmer a un niveau de connaissance très élevé. Chaque fois qu’il est parti, il a rompu son contrat.
P : Comment fait-il pour maintenir en vie son groupe, Rumbatá ?
J : Cela je peux te l’expliquer, parce que j’ai été membre-fondateur de Rumbatá: Wilmer est parti deux fois du Conjunto, la première fois parce qu’il avait le projet de monter un groupe de Rumba, mais l’état a refusé de l’aider. Je suis resté deux ans dans Rumbatá, et pendant deux ans nous avons monté un grand répertoire, et quand nous avons eu le nombre de morceaux requis, pour présenter notre projet à une évaluation, nous sommes allé au conseil de la Culture pour qu’il soutienne notre projet. Ils se sont tous réunis, mais ils ont refusé de l'accepter, parce qu’il existait déjà un Conjunto Folklórico. Alors Wilmer est revenu travailler avec le Conjunto, essentiellement à cause de ses problèmes d’argent. Ensuite il a essayé une seconde fois de présenter son projet à la commission, et cette fois-ci ils ont accepté. Enfin, le groupe a pu devenir professionnel, avec un salaire de 138 pesos seulement. Maintenant ils sont passé à 250 pesos, car ils ont été augmentés.
P : Mais le salaire est toujours plus bas que ceux du Conjunto Folklórico, mais avec plus de liberté, car ils peuvent travailler avec plusieurs groupes, non ?
J : Oui, avec plus de liberté. Cette liberté dépend essentiellement de la volonté de chaque directeur.
P : Et avec Rumbatá, quelles ont été vos activités, vos tournées ?
J : Au départ, le projet était de faire une « Peña », comme celles qui existent à La Havane, au Callejón de Hamel par exemple ; un (ou des) groupe(s) de rumba joue(nt), et les gens des quartiers peuvent aller les voir, pour danser, et éventuellement jouer si on les invite. Tout cela pour que les gens ne perdent pas la tradition de la rumba. Tous les gens savent qu’il y a rumba les samedis, et peuvent aller pratiquer.
P : Et le groupe a-t-il fait des concours, des festivals ?
J : Oui, nous avons participé à beaucoup d’événements avec Clave y Guaguancó, los Muñequitos de Matanzas, Afrocuba… qui sont tous venus ensuite à Camagüey partager la scène avec Rumbatá. Avant cela, nous étions allé à La Havane, où nous les avons tous connu. Nous avons joué à la Peña del Ambiá, au Callejón de Hamel, à l’Université… et nous avons rencontré Yoruba Andabó, Clave y Guaguancó, le Conjunto de Jota-Jota, et tous ont dit qu’ils ne savaient pas qu’à Camagüey il y avait de la Rumba « bien faite ».
P : Dans les festivals avez-vous gagné des prix ?
J : Oui, dans le seul festival auquel j’ai participé, nous avons gagné le 2e prix, le 1er prix a été obtenu par les Muñequitos et le 3e par Yoruba Andabó. Les gens étaient impressionnés car ils croyaient tous que le groupe était de La Havane. Wilmer a rencontré tous les gens importants, et s’est fait connaître.
P : Et vous avez pu sortir du pays dans des tournées ?
J : À vrai-dire, j’ai quitté Rumbatá et je suis retourné au Conjunto pour pouvoir voyager. Rumbatá à fait une seule tournée à la Martinique. Le problème est qu’ils n’ont pas un bon directeur administratif pour les représenter et leurs trouver des contrats.
2 commentaires:
Salut les amis, une fois de plus un magnifique boulot!!!
Bien a vous
Didier
Chouette interview...
On revoyage à Camaguey...
Merci Patrice, gracias Yuyo....
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